509,54 km / 3099 m D+ / 3363 m D-
Devise : Leu roumain : 1 € = ~5 RON
La chaleur vient, puis s’en va,
Le froid vient, puis s'en va,
Les rencontres viennent, et nous marquent à vie.
Quelques touffes d’herbes défilent le long de la route, la tige noircie. Quelques rectangles de suie dessinés au sol rappellent les feux d’artifice de la nuit passée. En ce premier jour de 2021, la route est calme. Rares sont les voitures à croiser notre route. Même Éole fait relâche et laisse le relief se mirer à la surface des lacs que nous longeons. Nous crevons ce cocon de quiétude à l’approche de Turda et curiosité locale. Au fond d’une ruelle, une porte donne accès à un étroit tunnel s’enfonçant dans les profondeurs du relief. Six cents mètres plus tard en ligne droite, la galerie s’ouvre sur une large excavation où albâtre et obsidienne se mêlent. À défaut d’albâtre, les veines d’une blancheur scintillante sont en réalité du sel, exploité dès le XVe siècle. Si l’extraction s’est arrêtée en 1932, les veines de sel restent visibles et offrent un étonnant tableau minéral. Le regard guidé par les lignes de force, nous déambulons dans cette mine où sont encore visibles les systèmes de traction, la chapelle des mineurs et les vestiges d’une exploitation pluriséculaire. Au détour d’une galerie s’ouvre une immense salle. Treize étages plus bas se dessine un spectacle surréaliste : une grande roue, un minigolf et un lac où voguent quelques barques… Réhabiliter une ancienne mine en centre de loisirs, ils sont fous ces Roumains !

Calme matinal
Calme matinal
Trimballe ton porc
Trimballe ton porc
Ombre et lumière
Ombre et lumière
Le sapin souterrain
Le sapin souterrain
Une petite partie de golf ?
Une petite partie de golf ?
Une journée pluvieuse plus tard, nous prenons nos quartiers à Cluj-Napoca pour réparer la roue du vélo de Laurian et effectuer une révision bien méritée. Cassette, chaîne, pédalier, boîtier de pédalier, câbles, gaines… Nous sommes prêts à repartir de plus belle avec des vélos presque flambant neufs. Seul bémol, les pièces nécessaires au changement de moyeux sont indisponibles, il faut changer toute la roue. Les rayons brillant de mille feux, nous repartons donc en sens inverse jusqu’à Turda et le sud des Carpates. La nuit, sous la tente, nous refermons soigneusement la collerette de nos duvets bleu électrique et le cordon de serrage de nos capuches. Après une légère accalmie, le froid effectue son grand retour et la neige s’invite, de manière fort impolie, en notre compagnie. Ces éphémères étoiles commençaient à tomber lorsque nous fûmes alpagués par un habitant intrigué par notre attirail. Vigneron de profession, Stefan était dans sa cave lorsqu’il nous vit passer. Attablée avec quelques acolytes, la joyeuse bande semblait déguster la production depuis quelques heures déjà. Peu avare, il s’empressa de nous servir deux grands verres afin de participer à cette réunion œnologique. Mi-anglais, mi-italien, nous racontâmes notre périple, le récit ponctué de « oh » admiratifs. Pour Stefan, hors de question de repartir sans dormir chez lui. Nous dûmes longuement argumenter que onze heures du matin, c’était un peu tôt pour s’arrêter. Se rangeant finalement de notre avis, il décida alors de nous montrer l’itinéraire à suivre sur la carte. De longues minutes furent de nouveau nécessaires pour lui faire comprendre qu’il cherchait sur la mauvaise carte. Midi sonna alors et Stefan, entendant les cloches, tira Laurian par l’oreille afin de lui désigner le clocher. Ses lobes s’en rappellent encore. Avec un grand rire, il prit la direction de la cuisine et nous confectionna en moins de cinq minutes un panier-repas suffisant pour nourrir une garnison. Pain, saucisson, fromage, saucisson, crème, saucisson… Impossible de mourir de faim ! Bien sûr, avant de se séparer, un retour par la cave s’imposa. Les barriques se vidèrent, les verres se remplirent et nous finîmes par faire semblant de boire, afin de rester lucides sur nos vélos et de ne pas rouler sous la table. Après nous avoir offert des noix, des bois de chevreuil et une bouteille de potion magique (costaude la potion magique), notre hôte consentit enfin à nous laisser partir, avant de nous faire signe d’arrêter. Reparti en courant, il revint quelques minutes plus tard, un tube entre les mains. Paf, sans avoir le temps de dire ouf nous nous retrouvâmes avec les mains emplies d’une lotion hydratante pour la peau. La dose de crème, plus que généreuse, peinait à imprégner notre épiderme. Sous les rires de nos comparses, nous frottâmes nos mains de longues minutes, avant de déclarer forfait et de les rincer sous l’eau. La peau désormais douce comme un agneau, nous enfourchâmes enfin nos vélos et sur une route blanchie par les flocons, nous fîmes nos adieux à Stefan, notre éphémère hôte. Sacrée rencontre que celle-ci, aussi haute en chaleur humaine qu’en alcoolémie !
Avant
Avant
Après
Après
Merci Maros bike pour la révision !
Merci Maros bike pour la révision !
Trop de gant pour un seul homme...
Trop de gant pour un seul homme...
Bulle anticovid
Bulle anticovid
Cluj-Napoca
Cluj-Napoca
Cluj-Napoca
Cluj-Napoca
Et c'est reparti pour quelques milliers de kilomètres
Et c'est reparti pour quelques milliers de kilomètres
Le retour de l'hiver
Le retour de l'hiver
Dans la cave
Dans la cave
quelques verres plus tard
quelques verres plus tard
Cet improbable épisode, nous y pensâmes souvent les jours suivants alors que la neige s’invita sur la route. Maintes fois, nous fûmes saisis par le froid, le tissu quadrillé de nos vestes transpercé impitoyablement par les flocons fondus. Nous rendîmes les armes et cherchâmes à dormir au chaud pour nous reposer et faire sécher nos carcasses. Petit hôtel d’ouvrier, logement loué par l’habitant ou hôtel de standing, nous prenons ce qui est disponible. Que le lit sente le tabac froid ou la fleur d’oranger, peu importe, nous sommes au sec. Et puis, parfois, ça ne marche pas, comme ce jour à Sibiu où nous nous retrouvâmes sans logement suite à un désistement du propriétaire, par -4 °C une fin d’après-midi. Le bec dans l’eau, ou plutôt dans la neige, nous gelions tranquillement à la recherche d’une solution. À ce moment-là, une voiture s’arrêta à nos côtés, la fenêtre passagère se baissa et un homme nous demanda en anglais : « Vous cherchez un endroit où dormir ? Nous avons de la place chez nous si vous voulez. » C’est ainsi que nous fîmes la rencontre de Lucien, Mélinda et leur fille Zaya. Rencontre solaire dans ce monde de glace, nous posâmes nos sacoches plusieurs nuits chez eux et eûmes la chance de les accompagner lors d’une balade à ski dans les Carpates. Sous les arbres chargés de neige, notre joyeux groupe babilla gaiement jusqu’au point d’orgue de la sortie, un barbecue en plein milieu de la neige. Grillade et ski de randonnée, c’était bien la première fois que nous faisions un tel combo ! Au-delà des rires et des instants partagés, cette rencontre fut l’occasion d’aborder des sujets plus profonds tels que la place de la Roumanie au sein de l’UE, ou la vie sous le régime de Ceaușescu. De telles trajectoires de vie, si éloignées de celles connues par nos parents, à seulement quelques kilomètres de chez nous, il y a de quoi laisser songeur.
Sur les conseils de Melinda et Lucien, nous prîmes un train pour traverser à nouveau les Carpates, cela dans le but d’éviter une route à fort trafic, longue de soixante-dix kilomètres dans une vallée étroite. Le groupe d’amis rencontré à ski comptait plusieurs cyclos qui nous ont tous déconseillé, avec de grands yeux ronds, d’emprunter cette vallée. Écoutant leur précieux conseil, nous prîmes donc le train. Cet intermède ferroviaire fut par ailleurs l’occasion de nous initier à une pratique très ancrée en Roumanie, au grand dam de Melinda et Lucien ; les pots-de-vin. Un petit billet glissé en douce, un hochement de tête satisfait et nos vélos et sacoches semblèrent comme par magie devenir invisibles aux yeux du contrôleur ! Soixante kilomètres et trois heures de train plus tard, nous quittâmes les Carpates pour une dernière partie de plaine jusqu’à rejoindre le Danube.
Sous la pluie...
Sous la pluie...
et la neige
et la neige
Les Carpates se dévoilent
Les Carpates se dévoilent
Balade sous la neige
Balade sous la neige
Lucien et Zaya
Lucien et Zaya
Barbecue hivernal
Barbecue hivernal
Lucien, Zahia et Mélinda
Lucien, Zahia et Mélinda
Centre-ville de Sibiu
Centre-ville de Sibiu


Seuls quelques jours à vélo nous séparent du fleuve, mais c’est sans compter les aventures mécaniques du vélo de Laurian. À Cluj-Napoca, le magasin de vélo n’avait pas contrôlé la tension de la nouvelle roue, et des rayons trop détendus ne font pas bon ménage avec un vélo chargé. Rapidement, un voile important apparaît, la jante frottant le cadre à chaque tour de roue. Malheureusement, trouver un atelier vélo dans cette région rurale n’est pas une sinécure. Nous trouvâmes tout de même une boutique de pièces détachées à Drăgășani. Par gestes, Laurian parvint à décrire le problème au propriétaire qui ne parlait pas un mot d’anglais et ne faisait pas de mécanique vélo. Heureusement en Roumanie comme partout ailleurs, tout problème trouve une solution et cet homme en fut une nouvelle fois la preuve. Confiant les clés de la boutique à sa femme, il sortit et nous fit signe de le suivre derrière sa voiture. Laissant le centre-ville pour un quartier où de vieilles bicoques s’étalaient dans la plaine, nous vîmes quelqu’un qui nous attendait derrière un portail. Il nous fit signe d’entrer tandis que la voiture repartait vers la ville. Rodriga et Lionel étaient âgés, certainement plus de cent quarante bougies à eux deux. Dans leur cuisine dépouillée, peu de choses hormis une gazinière allumée en permanence en guise de chauffage, un crucifix, une table, deux chaises et une tasse de thé offerte avec une grande générosité. Détail incongru dans ce décor rustique, la clé à rayon de qualité professionnelle dont Lionel s’empara pour aller dehors dévoiler la roue. Régulièrement, il revint dans la cuisine se réchauffer les mains au-dessus de la gazinière, avant de retourner affronter le froid de plus belle. Une tasse de thé et quelques tentatives de communication à l’aide de Google traduction plus tard, Lionel rentra de nouveau et nous fit comprendre que l’opération était terminée. Le résultat ? Sans outil de centrage, juste à l’œil, une roue totalement dévoilée et qui aujourd’hui encore roule parfaitement ? Du grand art ! Ainsi la route reprise, toujours plus loin, toujours plus loin vers le sud. Nous approchions du Danube en suivant l’Olt et cette curieuse région qu’est la Valachie, rurale et agricole, où il est pourtant difficile de trouver des endroits cachés des regards pour planter le bivouac. Tout le long de la route s’étalent à perte de vue de petites maisons qui ne laissent pas d’espace pour un petit bosquet d’arbre. Dans l’une de ses maisons, nous passâmes notre avant-dernière nuit chez Marc, Florina et leurs enfants David et Ruben, des missionnaires évangélistes anglais œuvrant dans le secteur. À l’exception d’un prêche pour inciter (forcer ?) Laurian à se baptiser et de quelques idées que nous ne partagerons pas, tout se passa à peu près bien. Savoir ouvrir sa porte et accueillir des inconnus sans savoir s’ils partagent vos valeurs prouve, malgré les propos que nous avons pu entendre, une belle tolérance (surtout quand ceux qui s’invitent sont pleins de boue !)

Quand la route s'avère être de la gadoue...
Quand la route s'avère être de la gadoue...
Robina, Marc, David et Ruben
Robina, Marc, David et Ruben
Comme un air de Brexit
Comme un air de Brexit
Bulgarie nous voici !
Bulgarie nous voici !
Enfin, nous voici à Turnu Măgurele. Deux kilomètres plus au sud s’écoule le Danube, où un bac permet de traverser et de prendre pied en Bulgarie. Que d’aventures et péripéties pendant cette traversée roumaine, que de générosité rencontrée sur la route. Des Carpates au Danube, nous sommes allés de surprises en rencontres, de rencontres en sourires, de sourires en souvenirs. Merci.

Poursuivre le vagabondage :

Back to Top